mardi 15 juillet 2008

Le potentiel érotique de la littérature...

Dossier : http://www.buzz-litteraire.com/index.php?2008/07/09/1049-dossier-litterature-erotique-sexualite

Cet été, nous vous proposons un petit dossier de littérature dite "érotique". Un genre qui prête à interrogations et à quelques controverses…
Qu'appelle-t-on "littérature érotique" ? Une littérature ghettoïsée qui se lit honteusement dans des rayons à part dans les librairies ou doit-elle être, au contraire, intégrer, sans aucun distingo, la "noble" littérature générale ?
Et comment écrit-on, écrivait-on, aujourd’hui et hier, l’intimité physique, le plaisir charnel ? Comment traduire avec des mots ce qui se vit avant tout avec le corps ? Comment trouver une justese et y’a-t-il des "limites" à ne pas franchir, des "règles" à respecter ?
Allez, un peu de masturbation… intellectuelle pour débuter ce dossier :

Force est de constater que les ouvrages à caractère « licencieux » ont souvent eu une histoire tourmentée…
Lus « sous le manteau », censurés, pillonnés ou sources de scandale : écrire la sexualité, et ce quelque soit son époque, a fortiori quand l’auteur est une femme (si l’on en juge par les scandales suscités par une Virginie Despentes ou encore une Catherine Millet), a toujours posé problème.
Ce sont les livres "sales", les livres "défendus" que les bien-pensants de la littérature ont parfois jugé bon d’écarter ou de sous-estimer en raison de leur sujet "indigne".
La littérature érotique parfois qualifiée (accusée) de pornographique reste somme toute difficile à définir.
Et certains auteurs n’apprécient guère être restreints à cette étiquette comme le soulignait Bénédicte Martin lors de la publication de son recueil « Warm-up ».
La sexualité infiltre souvent le romanesque, car c’est finalement vers elle que converge toujours l’humain, la vie, comment distinguer alors ce qui relève de « la littérature érotique » de ce qui n’en est pas ?
Faut-il compter le nombre des scènes intimes et sur la base d’un pourcentage prédéfini, décider dans quelle catégorie le roman se situe ?
Des maisons d’édition spécialisées (telles que La Musardine ou les éditions Blanche) revendiquent, par exemple, clairement cette ligne éditoriale.Certains tentent des définitions :« Les œuvres érotiques racontent le désir sexuel qui pousse chacun à la rencontre de l’autre (…) des corps qui se cherchent et qui se repoussent selon les mouvements intérieurs de la passion. (…) Elles parlent d’une envie. (…) Elles mettent en scène l’abandon : c’est dans l’acte sexuel que le sujet découvre la jouissance dans ce qu’elle a de plus intime et de plus étranger et qu’il touche la profondeur de son désir et de son être. » (Michela Marzano, Le Point)
« La littérature érotique plus voilée et plus suggérée a comme but de sublimer la sexualité (elle s'accompagne souvent d'une romance ou d'humour) ». (Source : Evene)
Et posent la question du « jusqu’où aller dans la description des actes ? », en agitant le drapeau rouge de « la vulgarité » et de « l’obscénité ». Mais ne font-elles pas, au contraire, partie intégrante de l’érotisme et de la sexualité ?
A la question « Est-ce que le sexe est sale ? » Woody Allen répondait : « Oui, heureusement !» (en V.O : "Yes, when it's well done", merci à Iron de la rectification en commentaire ci-dessous).
Une conception que ne contredira pas Henry Miller qui dans "Tropique du Cancer" regrette "la délicatesse" d'une de ses maîtresses (prostituée) et loue au contraire la vulgarité d'une autre : "Germaine était dans le vrai; elle était ignorante et ardente, elle se mettait à la besogne corps et âme. Elle était putain corps et âmpe et c'était là sa vertu !"
Les ouvrages de Michel Houellebecq ou Philippe Djian, deux auteurs contemporains, renommés pour leur liberté de ton en la matière, sont bien répertoriés en littérature générale. Ils livrent d’ailleurs d’intéressantes réflexions sur l’écriture des « scènes de sexe » : L’auteur des Particules élémentaires et de Plateforme par exemple déclare : « J'ai une hypothèse immodeste: je suis meilleur que les autres dans les scènes de sexe. Les miennes paraissent plus vraies.
A mon avis, c'est lié au fait que je décris les sensations et les émotions, alors que les autres se contentent de nommer différents actes. Chez mes collègues, c'est plus fantasmatique.
Chez moi, on a une impression de réalité retranscrite. » Tandis que l’auteur de « Vers chez les Blancs », « Zone érogène » ou « Lent dehors » explique : "Pour écrire là-dessus, il faut comprendre que ce dont on parle, ce sont peut-être les choses les plus fortes qui peuvent vous arriver dans la vie. Même si vos rapports ne durent pas forcément longtemps, même s'ils sont mal foutus, c'est quand même des moments où toute votre chimie intérieure fonctionne à toute allure. Ça n'a rien à voir avec l'érotisme généralisé et mensonger d'aujourd'hui, qui est un outil inapproprié pour parler d'une chose qui réclame d'autres outils. (…)
Si je tombe sur une scène scabreuse en commençant un livre et que je vois que l'auteur s'y prend mal, j'arrête tout de suite. Je trouve que c'est dans ces scènes-là qu'un écrivain se révèle vraiment. Tous ses défauts ou toutes ses qualités vont apparaître. S'il en fait pas assez, qu'il reste en deçà, dans l'érotisme bidon, c'est fichu, et s'il en fait trop, qu'il sait pas s'arrêter, qu'il sombre dans l'exagération, c'est fichu aussi."
Point commun de ces deux maîtres contemporains : Sade et Bataille ne font pas partie de leur panthéon respectif.
Houellebecq dit ne pas être intéressé par la transgression tandis que Djian regrette leur érotisme « trop intelligent » et leur « accumulation et surenchère ».
Ecrire l'érotisme, la sexualité est un art délicat auxquels les écrivains s'essaient, avec plus ou moins de bonheur en effet. Langage explicite, cru, trash ou au contraire poétique, raffiné, elliptique et suggestif : chacun, chacune s'approprie la sensualité, « le péché de luxure » selon sa sensibilité, son style ainsi que son époque (le féminisme, le sida… ont fait évoluer la conception de l’érotisme).
Anna Rozen interviewée récemment, écrivait dans "Plaisir d'offrir, joie de recevoir" : "J'ai horreur du mot vagin très laid et irrémédiablement utilitaire. Vagin sent le bébé, antichambre des vagissements..." ou « orgasme » qui ressemble à "organe avec une fuite de gaz au milieu".
Employer les mots exacts ou techniques pour décrire les gestes leur font perdre toute leur intensité, estime-t-elle. Son éditeur, Dominique Gaultier (des éditions « Le Dilettante »), avait d’ailleurs apprécié dans son ouvrage qu’elle évite "l’écueil de la littérature érotique" à base « de métaphores oiseuses » (de type « sexe turgescent »…).
Le jeune auteur canadien Craig Davidson, dont nous vous avions présenté le recueil "Un goût de rouille et d'os", s'interrogeait aussi sur son blog sur l'art d'écrire des "sex scenes" en se référant notamment à Ellroy et à son célèbre "Dahlia noir", un écrivain qu'il adule mais qui pêche par sa vision archaïque des rapports charnels, trop violente et dénuée d'émotion ("Even Ellroy, who is a masterful writer, falters when it comes to sex scenes") et de regretter : "Sam Spade, Hammett’s detective, is forever touching and rubbing his female secretary, and he does the same to all the other females in THE MALTESE FALCON. He’s always absentmindedly fondling them, sort of as though it’s his right.", commente-t-il (et de s'essayer à ré-écrire la scène sous une forme plus moderne !).
Il se pose ensuite la question de savoir "Qui écrit aujourd'hui de belles scènes de sexe ?" et cite notamment Bret Easton Ellis ("he writes memorable sex scenes") même si elles restent trop cliniques et perverses pour être qualifiées d'"érotiques", complète-t-il. Il nomme aussi Poppy Z Brite dans "Le corps exquis" ("She writes long, detail-intensive sex scenes, but again they aren’t erotic because they often end with one partner killing and dismembering and partially eating the other one" )
Pour aller plus loin, beaucoup de romanciers considèrent que c’est l'acte d'écrire, la création littéraire en eux-mêmes qui sont directement liés à la libido. Ils fonctionneraient sur le même principe. Ils sont nombreux à évoquer le côté "orgasmique" de l'écriture, de la "bonne page" (comme le disait Max Monnehay).
A ce titre, Alina Reyes confiait : "C'est Barbe-bleue qui m'a procuré mes premiers émois. A 7 ans. A 10-11 ans, je savais jouir toute seule et sans me toucher rien qu'en lisant ou en me racontant des histoires. C'est ce que je continue à faire en écrivant. L'écriture est pour moi une activité sexuelle à part entière. Une manière de toujours raviver mon désir." Anna Rozen ajoute que "Ecrire c’est séduire, raconter du désir, essayer d’en provoquer, de se montrer." Vous pouvez relayer ce dossier sur votre blog en affichant cette bannière (copier-coller le code indiqué)
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A suivre : une première sélection subjective de quelques romans érotiques classiques et contemporains, d’ici et d’ailleurs... Préliminaires :Philippe Jaenada, Anna Rozen, Serge Joncour et Delphine de Vigan revisitent l’érotisme des années 20…
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